Boniface et le sapin noël

Boniface et le sapin de noël

Ah noël et son traditionnel réveillon. Comme chaque année la famille s’est réunie pour partager le repas au son des clochettes et des « Ho ho ho » de circonstance.

Pendant que, les enfants guettent fébrilement le rapprochement de la petite aiguille du chiffre douze sur la grande horloge, signal du départ de l’ouverture des cadeaux et que les ados, le nez plongé sur leurs smartphones, poussent de grands soupirs, les adultes, devisent sur les sujets d’actualité. Bien sûr, comme chaque année, les discussions autour de la dinde trop cuite, sont animées par tonton Willy. Et comme chaque année, tonton « réac » Willy trouve que ces histoires de réchauffement climatique, « ce ne sont que des histoires inventées par des bobos écolos gauchiste et bouffeurs de quinoa ». Tonton trouve aussi que l’entraide c’est bien mais il faut commencer par s’aider soi-même. Il va de soi qu’il est totalement soutenu par tata Simone, qui ponctue chacune des phrases de son mari par un « c’est vrai ça, mon chérie ».

Le sujet du prix du carburant arrive sur la table en fin de repas, c’est ce moment précis que choisit Mariah Carey, pour pousser ces premiers cris. C’est également le moment que je choisis pour m’éclipser. Prétextant avoir abusé du mousseux bon marché de tonton Roger, je pars m’isoler dans le salon.

C’est là que trône fièrement « le roi des forêts » paré de guirlandes et de boules au couleurs kitchs. Quelque chose cloche sur ce « sapin ». Je m’approche, et cueille une aiguille. Un petit coussinet y reste accroché, en la roulant entre mes doigts, je sens bien les quatre angles qui la forment. Le manque d’odeur citronnée confirme mes doutes. Ce n’est pas un sapin mais un épicéa.

Mariah fini enfin de s’époumoner, ce qui me permet d’entendre de drôles de bruits venant de derrière le canapé. Passant ma tête par-dessus le dossier, j’y trouve Arlolo le museau couvert de ce qui semble être de la crème au beurre.

Tu es sérieux, Tu as englouti la bûche de noël ?

Ben quoi ? Faut bien que je mange.

Comment je vais expliquer ça, moi ?

Il grimpe sur le dossier pour se mettre à ma hauteur.

Fais comme d’habitude, accuse le chien ! Sinon, tu faisais quoi ?

J’admirais le sapin, je veux dire l’épicéa de noël.

Oui enfin, ne regarde pas de trop près quand même, il pique aux yeux.

Au fait, tu sais depuis quand, vous les z’humains décorez des conifères pour la nativité ?

Je fouille ma mémoire, revisite mes cours de catéchisme mais la réponse ne me vient pas.

Je déduis de ton aire ahurie que non !

Sur ces mots, Arlolo ferme les yeux et approche sa tête de moi, signe que nous allons, à nouveau, faire un saut dans l’espace-temps. J’ai déjà peur de découvrir dans la peau de qui ou quoi je vais atterrir.

Dis mon pote, je ne vois pas de gui sous lequel nous embrasser, lui dis-je en collant mon front contre le sien.

Il grogne un « crétin » avant qu’un flash blanc enveloppe tout autour de nous.

Un peu groggy, j’ouvre lentement les yeux. Ma vue est inhabituelle comme si je voyais sur un plan plus large. Il fait noir et froid, j’en déduis donc, que c’est la nuit. Nous sommes en pleine forêt et cette dernière a revêtit son manteau blanc. J’essaye de tendre les mains devant moi mais je n’y arrive pas. Du coup, j’observe mes pieds et à la place je découvre des serres et des plumes blanches.

Une chouette ? Tu as été sympa cette fois.

Bah, c’est Noël quand même et contrairement à ce que tu sembles croire, j’ai un cœur, une fois par an.

Je vois ça. Si tu me disais plutôt où et quand on est.

Geismar, au septième siècle.

Geismar en Allemagne ?

Non, en Éthiopie abruti, évidement en Allemagne sauf qu’aujourd’hui on dirait la Germanie.

Nous sommes perchés sur la cime d’un immense chêne. Il semble y avoir de l’activité à son pied. Arlolo me fait signe d’aller voir ce qui se trame plus bas. Je saute joyeusement de la branche sur laquelle je suis positionné. Oubliant que ce soir je suis une chouette et que je n’ai jamais eu d’ailes, je dégringole tels un gland les différentes strates de l’arbre. Heureusement, je parviens à amortir la chute, en écartant les ailes et je me réceptionne, tant bien que mal, sur une des branches les plus basses.

Quelle élégance, me lance un Arlolo hilare, la classe totale.

Je préfère ne pas lui répondre et me concentrer sur mon équilibre.

Une foule s’est rassemblée autour du chêne. Des feux sont allumés à proximité. Des gens chantent et dansent autour de ces derniers. Je constate, grâce à leurs différents habits que la fête attire un large panel de la population. Agriculteurs, guerriers, nobles. Tous semblent faire la fête ensemble. Plus près du tronc un groupe attire mon attention. Vêtus de tuniques blanches surmontées de capes de même couleur, je les entends psalmodier dans un état proche de la transe.

Serait-ce des druides ?

Tout juste. Les dignes représentants du fanclub de maman.

Que font-ils ? Noël n’est pas encore une fête bien implantée en Germanie à cette époque, même si je crois me souvenir, que l’évangélisation allait déjà de bon train.

Dis donc ? J’en connais un qui a potassé son histoire. Je te présente le chêne « Donar ». Arbre séculaire qui, a l’immense honneur d’être considéré comme étant sous la protection de mon pote Thor.

Thor ? Le fils d’Odin ?

Lui-même, dieu de la foudre, montagne de muscles et gros marteau. Si tu savais les soirées, un peu arrosées, que j’ai fait avec lui. Ne lui dis pas que je l’ai dit mais, il ne tient pas aussi bien l’alcool que ce que l’on raconte. D’ailleurs, une fois…

Un bêlement interrompt Arlolo. Il semble qu’un bouc ai été amené auprès des druides.

Rassure-moi, ils ne vont tout de même pas…

À ton avis? La dague et l’autel, c’est pour lui faire danser une gigue ? Tu sais, les sacrifices ne sont pas rares à cette époque. Mais, spoiler alerte, il va s’en sortir. D’ailleurs pour la suite, tu vas avoir besoin de comprendre ce qui se dit.

À ces mots, comme il l’avait déjà fait lors de notre visite à Paris au moyen âge, l’esprit esquisse un geste de la main. Je constate, que je comprends instantanément les discussions et les chants.

Le bouc est à présent lié sur l’autel et le druide approche dangereusement la dague de la pauvre bête, quand soudain un homme fait son apparition devant la foule rassemblée pour assister au sacrifice. Ses vêtements et la tonsure caractéristique de son crâne ne laissent aucune place aux doutes. C’est un homme d’église qui fait face au païens.

Qui est-ce ?

Winfrith, plus connu sous le nom de St-Boniface. Il est arrivé il y a quelque temps dans la région avec pour mission de convertir tous les pécores du coin. Sans grand succès, comme tu peux le constater.

Vous devez cesser cette barbarie mes frères ! Dieu, ne permettra pas cet acte de cruauté, lance le missionnaire.

Vas-t-en, le prêtre ! Tu n’es pas le bienvenu ce soir ! Ne sais-tu donc pas que, c’est le dieu de la foudre lui-même, que nous honorons ce soir ?

Vos dieux n’existent pas et il est grand temps de vous le montrer.

Saint Boniface se saisit alors d’une hache et se lance corps et âme à l’attaque du tronc de l’arbre.

Arrêtes immédiatement, vieux fou, tu vas tous nous faire foudroyer, lancent les druides pris d’effroi.

Mais Boniface n’entend plus rien. Avec le rage de ces convictions, il taillade le tronc pourtant épais de ce géant de bois. Ni les druides, ni les guerriers présents n’osent s’approcher de lui. Ils redoutent probablement de ce faire foudroyer par la rage de Thor ou alors, ils attendent patiemment que l’homme d’église se fasse griller comme un rôti. Il n’empêche que, après une demi-heure, un énorme craquement se fait entendre et l’arbre tombe, emportant tout autour de lui.

J’ai juste le temps de m’envoler pour ne pas le suivre dans sa chute. Arlolo me rejoint quelques instant plus tard.

T’aurais pu me prévenir quand même.

Ça aurait été moins marrant. Tu aurais dû voir ta tête. Avoues, tu ne t’attendais pas à ce qu’il y arrive.

Ben non, vu la taille du tronc ! Et ton pote Thor dans tout ça ?

Sûrement en train de cuver à Asgard.

A terre, c’est la stupéfaction. Dans sa chute, le chêne a écrasé tous les autres arbres et arbrisseaux. Tous ? Non un seul arbre semble avoir survécu à la chute du géant. Un petit sapin se dresse fièrement au milieu du houppier dorénavant allongé du chêne.

Voyez ! fanfaronne Boniface, tout sourire. Où sont vos dieux à présent ? Cet arbre n’était sous la protection d’aucune fausse divinité. Mais regardez là. Ce sapin, avec sa forme en triangle qui représente la Sainte Trinité et ses aiguilles encore présentes malgré le froid, ne représentent-elles pas la vie éternelle. Je vous le dis mes frères, cet arbre est l’arbre de l’enfant Jésus et à compter de ce jour chaque année à la date de naissance de Jésus, vous mettrez un sapin dans vos maisons. Vous le décorerez et à son pied, vous déposerez des cadeaux pour vos proches.

Sur les visages de l’assistance se reflétait surtout de l’indignation mais aussi de l’incompréhension. Doucement, la clairière se vida. Avant de partir, hommes, femmes et enfants lancèrent un dernier regard vers le ciel, espérant je suppose un signe des asgardiens mais rien ne vint.

Boniface quitta la clairière en dernier avec un sourire béat et probablement un mal de chien au bras.

Prêt à retourner ? me demande Arlolo.

Oui. Ça va être le moment d’ouvrir les cadeaux et à cette heure, tonton Willy et tata Simone sont probablement bourrés en train de chanter du Mariah Carey en duo. La fête va pouvoir commencer.

Front contre front, nous nous retrouvons dans le salon.

Faut avouer que, c’est quand même plus pratique de mettre un sapin plutôt qu’un chêne dans le salon.

Des rires et des chants retentissent dans la salle à manger. Entre deux fausses notes de « All I want fore Christmas is you » j’entends les rires de ma femme et de mes enfants. Ce n’est pas si mal noël en fait.

Avant de les rejoindre, je lève la tête et remarque un bouquet de gui suspendu. Je fais signe à Arlolo de regarder en l’air.

Joyeux noël mon pote, tu connais la tradition…

Non mais ça va pas ? Tu as pris une branche du chêne sur la tête ou quoi ? Et j’espère que tu m’as pris un cadeau….

 

 

Joyeux Noël les Amis

Oli et Arlolo

Un raconteur de nature, accompagné d'une drôle de bestiole