Tu le sais, aucune journée ne commence sans mon
café et ma tournée des fenêtres du séjour. J’en profite pour
observer le jardin. En ce mois de juin, la vie y est abondante.
Bourdons et abeilles se délectent du nectar qu’offrent les fleurs
des sureaux et des églantiers. Plus loin, ce sont les petites
tortues et les piérides qui papillonnent autour des lavandes. La
mare a une fois de plus attiré quelques libellules en recherche d’un
endroit pour se reproduire.
Les moineaux domestiques, nos plus fidèles locataires, profitent des
quelques graines oubliées par les poules. Quelques jeunes nées dans
les nichoirs se sont joints
à la joyeuse bande. J’avale une nouvelle gorgée de mon café
quand une étrange apparition me la fait recracher. Je n’en crois
pas mes yeux, un spécimen d’un blanc livide a rejoint le groupe.
Il s’est posé sur un piquet et regarde droit dans ma direction,
mon sang se glace et je suis pris de panique. Il y a un fantôme dans
le jardin. Je suis pourtant certain qu’il n’y avait pas de
cimetière indien à l’emplacement de la maison. Peut-être qu’il
s’agit d’un oiseau qui s’est étranglé avec un graine de
tournesol que j’ai distribué cette hiver. A moins que s’agit de
la réincarnation d’un moine, venu d’outre-tombe me châtier pour
avoir abusé de la trappiste. L’esprit vengeur s’envole dans ma
direction, ce qui m’arrache un petit cri.
— C’est quoi encore tout ce tintamarre ? Y’en a qui font activement la sieste.
— Arlolo, un fan-fan un fan-fantôme ! Dans le
jardin!
— Bouge-toi ! Quoi le pauvre moineau, là ?
Mon pauvre vieux, t’es vraiment pas fini toi. C’est juste un
oiseau leucique.
— Leu quoi ?
— Leu-ci-que, il est atteint de leucisme. T’es
bouché en plus du reste ?
— C’est une maladie ?
— Pas nécessairement, le plus souvent c’est une
mutation génétique, une carence alimentaire ou même un stress.
— J’y suis c’est comme Jeannot.
— C’est qui ça encore ?
— Le lapin albinos de ma tata Jeannine. J’adorais
lui donner de carottes quand j’étais petit.
— Ben tiens, ça fessait longtemps qu’on en avait
plus entendu parler de tata Jeannine. Quant à ton lapin albinos
c’est pas pareil. Je suis pas sûre que tu vas comprendre mais
bon, essayons quand même. Reprends un café.
La première chose à savoir c’est que les
pigments qui donne en partie la couleur de plumages sont les
mélanines et les caroténoïdes. Les mélanines sont produites par
le corps. Les caroténoïdes viennent de l’alimentation.
— Comme chez les flamands roses ? C’est en
mangeant des crevettes qu’ils ont cette couleur.
— Tout juste Auguste. Les crevettes ont une
alimentation riche en carotènes.
Donc chez les albinos c’est les mélanines qui
ne sont pas produites mais les carotènes oui.
Chez les individus leuciques ce sont aussi bien
les mélanines que les carotènes qui sont perturbées est donc
partiellement ou complétement absentes.
— Du coup, mon moineau, il est leucique ou
albinos ?
— Leucique, regarde ses yeux ils ne sont pas
rouges.
— Bien vu. Mais je me demande un truc, ça ne
va pas engendrer des problèmes ?
— Certains individus sont parfois rejetés du
groupe, ce qui n’a pas l’air d’être le cas ici. Sont plus
gros problème va être son maque de camouflage. Les prédateurs
auront vite fait de la repérer. Mais bon, qui sait on a déjà vu
d’autres espèces très bien s’en sortir et parfois même se
reproduire. Qui sait, si c’est juste une carence, ses plumes
pourraient bien retrouver leurs couleurs classiques à la première
mue.
— Ouf, je suis soulagé. Un moine fantôme, j’ai
peut-être un peu trop corsé mon café ce matin.
— T’inquiètes pas, je suis le seul esprit envoyé
pour te punir. Quoique… je suis pas certain pour le vieil indien
qui est toujours assis dans ton salon et te lance des regards
mauvais. Ugh l’ancêtre.
— Le vieil indien, quel indien ? Arlolo,
Arlolo ! Reviens, il est assis à ma place ? Arlolo… .
